La sanction est-elle la seule réponse possible à la transgression ? Pas sûr. La négociation, façon «contrat de confiance», peut aussi avoir des vertus positives. Alors, qui aime bien châtie bien ? Y'a-t-il de bonnes punitions et si oui, comment les trouver ?
« Eduquer un enfant, ce n’est pas essayer de lui plaire à tout prix. L’éducation peut nécessiter d’être impopulaire », prévient le pédo-psychiatre Daniel Marcelli. Nos enfants n’ont pas à obéir « pour nous faire plaisir » mais parce qu’il existe une règle. S’ils la transgressent, ils doivent savoir qu’il y aura « des conséquences », complète Didier Pleux, psychothérapeute et docteur en psychologie. L’avantage du courage de déplaire, c’est que ça dépassionne le conflit. Si on a dit : « Tes sketchs au supermarché sont éprouvants pour moi et pour tout le monde. Si tu commences, je n’achèterai pas les bonbons, comme c’était prévu », plus besoin de se transformer en virago dans les rayons. Au premier son de caprice, on peut lui susurrer : « Tu sais quoi ? Tes bonbons, ce sera pour la prochaine fois. » Ce n’est pas qu’on ne l’aime plus, c’est juste ce qui était prévu.
Y'a-t-il de bonnes punitions ?
Les avis sont partagés sur la question "y'a-t-il des bonnes et des mauvaises situations ?". Certains spécialistes égrènent des points positifs dans l'éducation avec punition des enfants:
- Eduquer, c’est enseigner la loi
Dans une société démocratique, chaque droit est associé à un devoir. Nos enfants vont devoir l’apprendre pour vivre avec les autres et devenir des citoyens. « Eduquer » veut dire « guider hors de… » Hors de quoi ? De l’enfance, sans doute. Le boulot de parents est de mettre le fonctionnement familial en accord avec le fonctionnement social. Or chaque règle induit une réaction en cas de transgression. Le magistrat Jean-Pierre Rosencveig (3) explique : « Il existe plusieurs niveaux où droits, devoirs et sanctions cohabitent : la loi civile et pénale, mais aussi la société où on vit, l’entreprise où on travaille, le groupe d’amis qu’on fréquente. Ou encore sa discipline personnelle : on peut être sanctionné par sa mauvaise conscience. »
« Pour intégrer la notion d’interdit, un enfant doit savoir que sa transgression sera suivie d’une punition, pense la psychanalyste Claude Halmos (4). Menacer d’un : “Je ne t’achète plus de vêtements de marque, car tu n’en prends pas soin”, et ne jamais le faire, ça ne marche pas. La règle est alors vidée de son sens, et les parents, décrédibilisés, y compris lorsqu’ils disent des choses positives : l’enfant ne les croit plus, et c’est très angoissant pour lui. C’est aussi pour cela qu’il vaut mieux éviter les menaces intenables, du type : « Si tu continues, je te laisse sur le bord de la route. »
- Une bonne sanction est réparatrice
« Quand un petit en tape un autre, l’animateur le prend à part et discute. Afin qu’il prenne conscience de sa bêtise, explique Pascal Ganofski, directeur d’un centre de loisirs maternel. Parfois ça suffit, d’autres fois on fait faire un travail d’intérêt général, comme tailler les crayons… » L’enfant a réparé et s’est réparé. Souvent, il sait qu’il a fait une bêtise. La sanction solde aussi sa culpabilité.Trouver la bonne sanction nécessite de réfléchir, rarement de réagir à chaud. « Avec les petits, on peut isoler tout de suite quelques minutes. Avec les ados, il vaut mieux dire : “On verra ça plus tard.” », souligne Caroline Le Roux, psychologue au Café de l’Ecole des Parents de Paris. Et si, comme le dit Claude Halmos, la bonne sanction était avant tout celle que les parents peuvent soutenir car ils la trouvent « légitime » et « juste » ?
A l'inverse, d'autres pondèrent le propos en trouvant des points négatifs à la punition à tout va ?
- Toute punition n’a pas de vertu éducative
Qui n’a jamais été tenté par le : « Tu n’as toujours pas rangé ta chambre ? Tu seras privé de console de jeux. » Le problème, avec la sanction qui n’a aucun lien avec la bêtise commise, c’est que l’enfant n’y comprend rien. Même s’il s’exécute – ce qui peut nous laisser croire qu’elle est -efficace –, elle ne lui apprend rien. L’enfant, lui, pense qu’il faut obéir à la menace car elle risque surtout de le priver de son plaisir. « On rencontre souvent des enfants terrorisés par la sanction mais qui ont oublié la règle », explique Caroline Le Roux. Donc, on arrête avec la menace du père Noël : « Si tu n’es pas sage, il ne passera pas. » Une menace doublée d’un mensonge, ce n’est pas joli, joli.
- … Une punition peut être contre-productive
Publiée dans la revue « Pediatrics » en 2010, une étude américaine a montré que les enfants qui reçoivent régulièrement une fessée deviennent plus agressifs que les autres : ils reproduisent ce qu’ils ont connu. Une fessée est une « émotion forte » qui s’inscrit dans la mémoire du corps. « Elle peut devenir une source d’émotion sensuelle et avoir une influence sur la construction de sa vie sexuelle », rappelle Claude Halmos.
Les punitions ne font souvent que renforcer des tempéraments frondeurs : les enfants se conforment à ce (qu’ils pensent) que les adultes attendent d’eux. « Changer notre regard sur eux donne souvent de meilleurs résultats, pense Sylvie Ayral, docteure en sciences de l’éducation (1). Un enfant qui vole, la fois d’après je lui confie la caisse de la classe… Il se sent responsable et il n’y a pas de récidive », raconte-t-elle.
Dans sa thèse, elle a même démontré que les punitions au collège rataient complètement leur but. « On évite de se demander pourquoi les garçons (80 % des punis) transgressent. On a abouti à un détournement du but recherché. Aujourd’hui, pour eux, la punition est devenue un trophée. Pour se faire admettre dans le groupe des garçons, être populaire, viril, conquérir les filles, ils la recherchent.
Comment choisir une bonne punition ?
C’est la dernière tendance : on se réunit entre parents et psys pour réfléchir ensemble à nos méthodes l’éducation. Au programme, ce jour-là : trouver la bonne sanction.
- La méthode Faber & Mazlish
Faites le test. Dites à un homme : « Je vais participer à un atelier sur la punition. » Aussitôt il aura l’œil qui frise : « Ah oui, avec des bottes rouges et un corset en cuir ? » Une femme, elle, comprendra tout de suite de quoi il s’agit : « Ramène-nous des conseils, hein… »
Les sanctions quotidiennes de nos enfants seraient-elles une affaire de femmes ? En tout cas, il y a principalement des mères de famille, ce soir, dans les locaux de l’association Interscol, à Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne), pour cet atelier : « Punir ou pas ? » Caroline Iruela, la blonde, et Muriel Dorio, la rousse, deux quadras dynamiques, à la fois coachs et psys, coaniment. Leurs réunions de parents s’inspirent de la méthode « Faber & Mazlish », du nom de deux prêtresses américaines de la communication harmonieuse entre enfants et parents. Au programme : échanger entre pairs, mais aussi décrypter les enjeux émotionnels et fournir des outils de réflexion et d’action. En me rendant à l’atelier, je m’interroge : « Comment je punis ? », mais aussi : « Comment ai-je été punie ? » Je réalise que, finalement, je sanctionne peu mais menace souvent.
Et que j’ai été élevée de la même façon. Il en reste sans doute, adulte, une espèce d’« intranquillité » que j’aimerais éviter de transmettre. Les autres parents, deux hommes et cinq femmes, me paraissent déjà très « outillés » et créatifs. Muriel, mère de deux enfants de 3 ans et 5 ans 1/2, m’apprend qu’elle participe pour la deuxième fois à l’atelier. « Quand je me suis vue en train de donner des tapes sur les fesses de mon fils en criant : “Tu ne tapes pas ton frère”, je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. » Elle raconte aussi que la punition est au centre des conflits avec son mari.
« Quand un des enfants fait une bêtise, je l’isole un peu. Lui ne supporte pas, il va le chercher aussitôt. Imaginez comme c’est efficace… » Je ris de bon cœur : maman solo, j’ai toujours pensé qu’il était très difficile de trouver seule la « bonne » sanction. Visiblement, le couple n’échappe pas au problème.
- Atelier punition : le brainstorming
A côté d’elle il y a Martine, mère de deux ados de 17 et 19 ans, « qu’elle ne punit plus » mais qui veut se rafraîchir la mémoire car elle garde souvent une petite fille de sa famille. Viennent aussi Philippe et Stéphane, deux pères dont la présence est saluée, Nathalie, une mère prof d’anglais qui se sert de l’humour comme outil éducatif.
Sont aussi là Valérie, qui a eu deux enfants sur le tard et « pensait savoir faire, et qui s’est beaucoup perdue dans les explications compliquées », et Lydie, un peu décontenancée par les différences de comportement entre ses trois enfants, dont les âges s’échelonnent entre 9 à 16 ans. Pour commencer, Caroline et Muriel, les psys, qui se présentent aussi comme mères de famille « pas vraiment idéales », nous demandent de dire ce qu’évoque pour nous le terme de « punition ». Je pense à « transgression ». Les autres parents sont plus sévères : provocation, fardeau, écart, brimade, etc. « Apprentissage » surgit enfin. Muriel Dorio en profite pour rappeler qu’il est normal de sanctionner un écart, mais qu’il est également normal, pour un enfant, de transgresser et d’éprouver les limites. Je lève un sourcil en pensant à mon fils de 11 ans, que j’ai croisé ce matin dans le sens inverse de celui du collège, à une heure pas vraiment réglementaire.
Et pour lequel je cherche encore la sanction appropriée. L’idée que les enfants qui transgressent ne sont pas forcément en difficulté et sont plutôt en « bonne santé » (et donc, les parents aussi) me rend l’évènement moins dramatique. Je me redresse.
- Atelier punition : l'exercice pratique
Caroline et Muriel entament un sketch dans lequel un père, excédé par son ado qui n’a pas rangé les outils qu’il lui a empruntés, le prive d’une sortie en famille au cinéma. En nous regroupant deux par deux, nous décortiquons les sentiments et les émotions du père et de l’ado. On se rend compte que se jouent, des deux côtés, des sentiments très forts, comme l’agacement, l’énervement, l’injustice, la disproportion, le ratage… Tous soulignent que cette privation ne sert à rien, car elle n’a aucun rapport avec la bêtise commise. Nous cherchons ensuite comment la remplacer par un vrai apprentissage.
Philippe, père de trois enfants, raconte sa réaction lorsqu’il lui est arrivé la même chose : il a acheté leur propre caisse à outils à ses enfants, « pour les responsabiliser, avec interdiction de toucher à la mienne », ajoute-t-il. Il nous racontera par la suite comment il a mis en place un « conseil de la bêtise », sorte de réunion de famille de la sanction.
Même si cela me semble un peu compliqué, j’aime sa créativité et le regard enjoué, jamais désespéré, qu’il porte sur ses enfants, lui qui dit avoir reçu une éducation si austère. Au tableau s’inscrivent les principes qui doivent nous aider à remplacer la punition.
1. Exprimer ses sentiments avec conviction. Pour cela, les psys-coachs nous conseillent d’utiliser le « je » (« Je suis furieux de constater que mes outils sont restés dehors sous la pluie »), et jamais le « tu » (« Tu m’énerves », « Tu es décevant », « Tu es un crétin », etc.), ce qui permet de poser ses sentiments comme étant incontestables et de ne pas attaquer la personnalité de l’enfant (« Le tu tue », disent-elles).
2. Il faut ensuite exprimer ses attentes clairement. « Je m’attends à ce que mes outils soient nettoyés et rangés après utilisation. »
3. Indiquer à l’enfant une façon de réparer son acte : « Ces outils ont besoin d’être séchés et huilés. »
4. S’il persiste, lui offrir le choix (ou, du moins, lui en donner l’impression) en utilisant le « soit, soit » (ou le « ou bien, ou bien ») plutôt que le « si » de la menace : « Soit tu empruntes mes outils, et ensuite tu les ranges à leur place, soit tu abandonnes le bénéfice de t’en servir. A toi de choisir. »
- Atelier punition : les "devoirs"
Dans ma tête, je fais rapidement l’exercice. Je m’imagine disant calmement à mon fils : « Soit tu te rends au collège par le chemin convenu et tu peux y aller avec des copains, soit c’est moi qui t’accompagne le matin. » Je pense qu’il y a des chances pour que, en effet, cela fonctionne mieux que les menaces que j’ai imaginées ce matin dans la rue…
Stéphane, père de trois enfants, remarque que cela lui rappelle des techniques de communication d’entreprise. Muriel propose de remplacer le terme de punition par celui de « sanction », qui évoque davantage la volonté « d’élever » les enfants, au sens de les faire « croître ».
Elle précise que la colère, souvent à l’origine de nos punitions trop brusques, est une émotion qui monte vite, mais redescend aussi. Il faut éviter de « rester sur le pic », et de punir lorsqu’on se sent au sommet. Chacun raconte joyeusement les moments de « lâcher-prise » salvateurs : aller prendre un bain, sortir faire un tour, écouter de la musique…
Trois heures et demie plus tard (l’atelier ne devait durer que deux heures…), on repart avec un cahier, des mémos, une bibliographie préparée par les psys. Dehors, je me répète les paroles de Muriel sur « la justesse » : « L’important est de sentir son corps et sa pensée “alignés”. C’est ça l’autorité. »
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